La complexité : clé de la création de valeur

 

Les entreprises captent la valeur en simplifiant, pour le consommateur, l’accès à une ressource, la réalisation d’une opération, la manifestation de sensations, ou l’expression d’un statut social. Déjà en 1958, Léonard Read, économiste expliquait comment la fabrication d’un simple crayon de bois, faisait intervenir un réseau complexe d’entreprises, sans que chacune d’elle ne soit en mesure de fabriquer le dit crayon à elle seule.

Si la sensation que le monde devient de plus en plus complexe demeure, c’est plutôt, me semble-t-il, parce que les entreprises ont de plus en plus de mal à le simplifier. En effet, les découvertes scientifiques successives, en matière d’énergie, de chimie, d’électronique ont permis le développement du commerce international, des télécommunications, et ont redéfinis les relations sociales. La production de masse, et l’obsolescence programmée vont de pair avec des clients de plus en plus exigeants, des fournisseurs plus prompts à disparaitre, et des concurrents plus rapides à chambouler un marché, dont les frontières sont de plus en plus floues, avec l’avènement d’internet et la généralisation du commerce en ligne.

 

Les limites de la hiérarchie

La rapidité, la fréquence et le nombre de changements qui interviennent dans l’environnement des entreprises les obligent à accélérer les prises de décisions pour être en mesure d’être parfaitement adapté à leur contexte. 

Or dans la majeure partie des entreprises, en particulier les plus grandes, les adaptations — qu’il s’agisse de l’offre, des moyens de productions, ou de l’organisation — sont décidées par le haut de la pyramide en s’appuyant, entre autres sur les observations de terrain lentement remontées, par la voie hiérarchique, jusqu’à la direction. Habituée à devoir fixer les trajectoires sur laquelle l’organisation aura à se conformer dans la durée, la direction se voit obligée de faire sens de l’ensemble des informations collectées, tout comprendre, détecter les opportunités, et formuler des plans pour les saisir.

A mesure que le monde devenait de moins en moins simplifiable, la façon pour la direction de répondre à cette injonction a évolué. D’abord il fut question d’avoir des dirigeants mieux formés et des écoles de management ont été créées à cet effet. Puis est venu l’âge d’or des consultants dont le métier consiste à faire profiter aux entreprises de leur recul, et de leurs connaissances du marché, acquises en croisant les informations provenant de plusieurs acteurs du secteur.

Mais aujourd’hui le constat est implacable : les réorganisations sont tellement fréquentes, qu’elles cessent d’être pertinentes avant même d’avoir pu être entièrement déployées. Le principe même d’avoir une direction qui centralise les décisions, qui, selon Max Weber est le plus performant pour la production de masse, s’avère inefficace dans un monde qui appelle à des réadaptations perpétuelles.

 

L’agilité : autonome localement, aligné globalement

Bon nombre d’expériences, de recherches et autres travaux sont menés pour trouver une autre façon de s’organiser. On peut citer les entreprises opales, popularisé par Frederic Laloux, l’OpenSpace Beta proposé par Niels Pflaeging, Holacracy conçu par Brian Robertson, ou plus récemment l’Humanocracy que défend Gary Hamel, consultant de renommée mondiale et professeur à Harvard et à la London Business School.

 

Concrètement, les personnes peuvent décider elles-mêmes de changer leurs procédés, leurs processus et leur organisation pour mieux correspondre aux besoins qui se font jour, sans l’intervention de leur hiérarchie. Le délai entre l’observation du réel et l’adaptation de l’organisation en est considérablement raccourci. En faisant de ce mode de fonctionnement la règle plutôt que l’exception, ces micro-réorganisations peuvent être de courte durée et sur une zone limitée. Puisqu’elle ne concerne pas systématiquement toute l’entreprise et qu’elle répond au présent plutôt que d’anticiper l’avenir, il devient donc plus flexible d’expérimenter, de modifier, d’abandonner ou de revoir une organisation.

 

Renoncer à la subordination

Cette nécessité renverse une des caractéristiques de la bureaucratie décrite par Weber : la subordination. L’entreprise, jusqu’ici structurellement basée sur ce principe, doit donc trouver de nouvelles modalités de fonctionnement. Il lui faut construire et maintenir une façon de faire équipe qui favorise l’autonomie des individus tout en maintenant la cohérence de l’action. Dans une bureaucratie, c’est le manager, le supérieur hiérarchique qui est garant de cette cohérence, attendu qu’il a en principe la compétence (acquise avec l’expérience) et l’autorité (conférée par son supérieur) nécessaires pour décider des actions. Mais dans un monde en révolution constante, l’ancienneté n’est plus synonyme d’expérience pertinente. La légitimité du manager se trouve donc mise à mal.

 

Pour autant, il ne s’agit pas de renoncer à évaluer la pertinence et le bien fondée du travail d’un salarié. Ce qui change c’est que l’entreprise reconnait que c’est le salarié qui est responsable de la pertinence de son travail et non plus son manager. Dès lors, le management par la carotte et le bâton, administré par un manager est contre-productif. La motivation est conditionnée par une clarté partagée sur le résultat attendu, le fait que le résultat soit à la portée du salarié en termes de compétence, et qu’il ait autorité pour choisir les modalités selon lesquelles il les mettra en œuvre. Autrement dit, si « un chef, c’est fait pour cheffer« , l’entreprise doit se passer des chefs.

 

Notre définition du leadership

Ainsi l’entreprise se redéfinit. Elle n’est plus une hiérarchie de personnes, mais une hiérarchie de « résultat attendu » de portée de plus en plus ambitieuse à mesure que l’on se rapproche du sommet, où elle exprime la raison même pour laquelle l’entreprise existe. La direction ne définit plus la trajectoire, mais une vision de la destination que chacun contribue à rendre réelle, dans sa zone de responsabilité, en tenant compte de ce qu’il observe sur le terrain au jour le jour.

 

Pour affronter la complexité avec sérénité, l’entreprise doit impérativement s’appuyer sur l’adhésion de ses membres à ce but commun. Il est donc capital qu’elle développe non plus chez ses managers, mais chez chaque salarié, l’ensemble de compétences qui favorise l’autonomie, la confiance et la cohésion d’une équipe dans la poursuite d’un but commun. Cet ensemble de compétences peut s’apprendre, se transmettre de façon pratique, chemin faisant. Cet ensemble de compétences, nous l’appelons Leadership.