L’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) et le réseau des agences régionales (ARACT) organisent la semaine de la qualité de vie au travail. Cette année l’opération se déroule du 14 au 18 juin.

 

La qualité de vie au travail c’est quoi ?

 

L’accord interprofessionnel du 19 juin 2013 stipule qu’elle désigne et regroupe sous un même intitulé les actions qui permettent de concilier à la fois l’amélioration des conditions de travail pour les salariés et la performance globale des entreprises, d’autant plus quand leurs organisations se transforment.

Cette notion de qualité de vie au travail (QVT) peut sembler récente, mais elle est la continuité de la prise de conscience concernant les risques psycho-sociaux dans le monde du travail. Une étude concernant le stress, menée par le l’institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), estime que le coût social du stress au travail (dépenses de soins, celles liées à l’absentéisme, aux cessations d’activité et aux décès prématurés) est entre 2 et 3 milliards d’euros, au bas mot.

Selon l’agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, 50 à 60 % de l’ensemble des journées de travail perdues serait lié au stress.

Une part de l’augmentation du stress, et de la diminution de la QVT tient au fait que le mode d’organisation de la plupart des entreprises ne convient pas à la société et à l’économie dans laquelle elles se trouvent. En effet, le fonctionnement de ces entreprises correspond à ce que Max Weber décrivait comme une bureaucratie : Les individus sont répartis dans une hiérarchie d’emplois, chaque emploi a une sphère de compétences clairement définie, et les recrutements se font sur cette base. Les employés sont soumis à un contrôle strict et systématique dans leur travail, et leur promotion dépend de l’ancienneté et de l’appréciation de leurs supérieurs hiérarchiques.

Le stress, un sous-produit de la bureaucratie

Ce mode d’organisation est adapté à des sociétés qui ont besoin de production de masse. Elles sont moins pertinentes lorsqu’il s’agit de s’adapter fréquemment aux évolutions des marchés et des sociétés. Max Weber avait déjà lui-même identifié que la bureaucratie peut finir par paralyser l’organisation à force de règles et de contrôles qui finissent par décourager les initiatives, et à cause d’une rationalité excessive qui replie les groupes sur les objectifs de leur département, au détriment de ceux de l’organisation dans son ensemble. Michel Crozier, sociologue des organisations, finira par caractériser la bureaucratie comme « une organisation qui n’arrive pas à se corriger en fonction de ses erreurs ».

Certes des améliorations successives du management, viennent tempérer ce constat. Il s’agit tantôt d’interventions des syndicats, tantôt de régulations venant du législateur. Mais les entreprises elles-mêmes ont aussi travaillé à se réformer pour mieux prendre en compte leur besoin d’innovation constante, la nécessité d’impliquer plus, et de mieux mobiliser les énergies, les idées, le talent des salariés.

 

D’autres voies sont possibles !

 

Plus récemment des nouveaux modes d’organisation et de management ont vu le jour. Ces modes d’organisation prennent le parti de radicalement distribuer le management. Ils invitent à fonder l’entreprise sur une raison d’être, sa contribution à son marché (qui elle sert, quel problème elle résout) plutôt que sur ce qu’elle fabrique. Ils formulent l’organisation en terme de hiérarchie de contribution à cette raison d’être, dont les modalités sont à construire, inventer, adapter, plutôt que comme hiérarchie d’emploi aux compétences fixés à l’avance. Ils invitent à plus de responsabilité des membres de l’équipe, à la fois individuellement et collectivement, dans l’atteinte des résultats de l’ensemble, autant que dans l’évaluation de la pertinence des contributions locales.

Ces nouveaux systèmes de distribution du management posent un cadre nouveau. Cependant ce cadre ne suffit pas à faire entrer les hommes et les femmes dans un nouveau paradigme du travail. Deux autres transformations doivent avoir lieu pour que l’organisation puissent pleinement libérer son potentiel d’innovation.

Transformation du leadership

 

L’accord cadre de 2013 l’avait déjà clairement repéré : la formation au management proposée dans les différentes écoles ou universités ne prend pas suffisamment en compte le management des équipes, les dimensions permettant la qualité de vie au travail, l’égalité professionnelle et l’égalité d’accès des personnes handicapées à l’emploi ainsi que les risques professionnels et leur prévention.

Le nouveau leadership doit faire une plus grande place au dialogue, à la collaboration et à la coopération de chaque coéquipier. La gestion des désaccords, l’élaboration de la stratégie, le choix des priorités collectives ne doit plus être centralisé chez les managers. Ces derniers doivent maintenant en organiser la réalisation collective. Cela implique une nouvelle nécessité de transparence des informations, et une acquisition généralisée des compétences nécessaires aux équipiers, soit de façon explicite via la formation, soit de façon tacite au contact des managers, ou par de l’accompagnement.

Transformation de la culture du pouvoir

Les salariés ne sont plus soumis à un contrôle, plus ou moins arbitraire exercé par des « supérieurs ». Pour autant, le besoin de conformité, le respect des normes et de la qualité de ce qui est livré demeure. Habitué que nous sommes au mode de fonctionnement bureaucratique, la tentation est grande pour les plus experts de prendre le contrôle de l’équipe, et de reconcentrer en leurs mains les prises de décisions. Si cette répartition du pouvoir peut s’avérer plus légitime, elle n’en reste pas moins sujette aux mêmes écueils : un centralisme qui favorise les conservatismes et freine l’adaptation et l’innovation.

Il s’agit donc d’inviter les experts à renfoncer les capacités d’autocontrôle de chacun, en explicitant et en partageant les critères, les méthodes et les moyens de validité, de conformité et de qualité des produits et prestations livrées.

Une des missions des leaders dans ces organisation est de valoriser l’expertise en ce qu’elle permet d’aider les autres à grandir, plutôt que ce qu’elle garantit comme résultat. Le pouvoir devient ainsi un verbe qui se conjugue au pluriel.

 

Cette triple transformation ne se fait pas sans difficultés. Mais la décentralisation de la structure, dans une organisation tournée vers sa contribution au monde, permet une plus grande clarté de tous sur le sens et l’impact du travail. En adoptant un leadership qui valorise moins les titres et les fonctions que la contribution au projet de commun et les efforts que chacun fait en ce sens, l’organisation se donne les moyens de développer les compétences de façon plus pertinente, d’associer, voire de co-construire les changements et les adaptations que les salariés auront eux-mêmes détectés. Ainsi ils peuvent s’engager dans des évolutions auxquelles ils croient. Ces nouveaux modes de fonctionnement viennent bousculer notre rapport au pouvoir et au contrôle, que nous soyons managers ou non. Un accompagnement de l’organisation et des individus peut s’avérer nécessaire pour construire un nouvel équilibre.